Depuis quelques années, la notion d’intervention prend de plus en plus de place dans l’échiquier du plein air québécois. Même si de nombreux termes différents circulent dans l’industrie, les équipes de recherches et les adeptes s’entendent pour l’appellation intervention en contexte de nature et d’aventure (INA). Tour d’horizon des réalités liées à cette pratique qui fait ses preuves ici et ailleurs.

Les INA sont basées sur l’idée qu’il est possible de faciliter des apprentissages, des changements de comportements ou encore de traiter des maladies ou des troubles de santé qui pourraient être de natures physique ou psychologique à travers l’utilisation d’activités d’aventures en milieu naturel dans un contexte d’apprentissage expérientiel en groupe. (Bergeron et al.)

Cet accompagnement en nature a différentes visées (récréatives, éducatives ou de traitement) et les courants disciplinaires sont adaptés selon la clientèle : besoins particuliers, scolaire, communautaire, corporative, personnes retraitées actives, etc. Quelques organismes et entreprises ont pavé le chemin et ont été des précurseurs en INA. On peut penser à Sur la pointe des pieds, Face aux vents ou encore au programme En marche à la Vallée-Bras-du-Nord. De nombreuses entreprises québécoises, certifiées par Aventure Écotourisme Québec, œuvrent au cœur de nos régions québécoises, et de plus en plus de spécialistes de la santé et des services sociaux se tournent vers ces pratiques que l’on qualifie de non traditionnelles.

« J’ai participé à une retraite de deux jours destinée aux mamans sur l’île aux Basques dans le Bas-Saint-Laurent, organisée par Thuya. J’y allais avec une intention de me ressourcer et de me repositionner en lien avec mes façons de faire au cœur de la maternité pour ne pas m’oublier et retrouver un équilibre. Au programme : méditation, randonnée, échanges riches, discussions guidées dans le respect… La nature fait partie du processus de guérison, on y respire mieux, on regarde plus loin, on s’ouvre avec tous nos sens et dans le mouvement. Ça fait changement du cadre traditionnel de consultation entre quatre murs, ça enlève un certain tabou et ça permet de se reconnecter à soi. - Karine Roussel

La formation : une importante pièce du puzzle

Inspiré par ce qui se fait de mieux depuis plusieurs décennies en Adventure Therapy au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Océanie, le Québec n’a rien à envier aux autres territoires, surtout en termes de programmes académiques spécialisés.

Virginie Gargano, guide d’aventure et doctorante en service social, est une des pionnières de l’INA et travaille depuis 2006 au développement principalement au Canada. Elle a fondé l’entreprise Dehors qui a pour mission de former des professionnels aux bénéfices du plein air et de l’aventure.

« En créant Dehors, je répondais à une demande du milieu. L’INA fait ainsi partie d’un arsenal d’outils pour des intervenant·e·s du milieu de la santé et des services sociaux qui œuvrent déjà auprès de différentes clientèles et qui n’ont pas la disponibilité pour suivre une formation universitaire. »

Elle fait ici allusion entre autres au Diplôme d'études supérieures spécialisées (DESS) en intervention nature et aventure offert à l’Université du Québec à Chicoutimi ou encore au programme court de 2^e cycle de l’UQAM et de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

« On assiste à un changement de paradigme, fait valoir Virginie Gargano, qui est également co-directrice du Comité Canadien et du Comité international Adventure Therapy. Avant, l’INA était marginale, alors qu’aujourd’hui on cumule les données empiriques de ses effets sur différentes clientèles autant sur les plans physiologique, psychologique et social. »

La santé mentale : prévention et traitement

« Que ce soit via le programme de sensibilisation au secondaire (H)être ou lors de nos expéditions en nature avec les jeunes, nous sommes dans une vision globale de la santé mentale et le but est de soutenir la démocratisation des activités de plein air et l’accès à la nature pour tous et toutes », explique Geneviève Gobeil, co-directrice générale et facilitatrice pour Face aux vents. L’organisme, actif sur tout le territoire provincial, a une expertise spécifique permettant d’offrir des services qui utilisent les activités de plein air pour contribuer à la prévention en santé mentale des jeunes ainsi qu’au traitement et au rétablissement de personnes souffrant de problématiques de santé mentale.

Les jeunes participants et participantes en retirent de nombreux bénéfices : autonomie, socialisation, confiance en soi, connaissance de soi, travail d’équipe, nouvelles expériences, fierté, sortie de la zone de confort, normalisation, soutien au rétablissement, etc.

Un domaine qui s’organise

Grâce au RÉSEAU pour un développement psychosocial par le sport et le plein air, on assiste à un regroupement de partenaires, institutions, organismes, équipes de recherche, spécialistes en intervention, entrepreneurs et entrepreneuses intéressées par le sport et le plein air comme outil de développement humain.

« Nous sommes dans un moment charnière au Québec et la création du RÉSEAU est un jalon important qui permet une reconnaissance significative dans le milieu, souligne Christian Mercure, membre du RÉSEAU et professeur-chercheur à l'Unité d'enseignement en intervention plein air à l'Université du Québec à Chicoutimi. La prochaine étape, c’est la pérennisation des investissements liés au programmes d’INA en démontrant l’efficience par des données quantitatives, en s’appuyant sur la littérature scientifique. »

Influencer les normes sociales

Christian Mercure planche avec Virginie Gargano sur un ouvrage collectif où plusieurs modèles d’INA et leurs impacts sont racontés et analysés. Les équipes de recherche participent également à une base de données internationale qui permet de partager les différentes façons de faire dans le monde pour mieux analyser les impacts selon la durée, l’objectif, la clientèle, et les enjeux culturels et politiques.

Isabel Blouin, psychosociologue et guide de plein air, agit à titre de coordonnatrice pour le RÉSEAU. Elle a fondé Thuya dans le Bas-Saint-Laurent, une jeune entreprise qui propose des programmes d'activités d'accompagnement en nature adaptés pour différentes clientèles, que ce soit en groupe ou individuel.

« Je développe avec le HEC de Montréal une évaluation des impacts réels d’un projet pilote que nous menons en collaboration avec un organisme qui œuvre en santé mentale, explique Isabel Blouin. L’INA est un champ d’expertise encore émergent et le but c’est de faire rayonner les initiatives parce qu’on le sait, le nerf de la guerre c’est le financement! »

L’importance de la notion de risque

 « L’aventure fait référence à l’incertitude, il s’agit alors d’un levier d’intervention quand on travaille avec la notion de risque perçu versus le risque réel, en adéquation avec les capacités des clientèles », explique Christian Mercure.

De son côté, Virginie Gargano insiste sur la notion de responsabilité et de sécurité. « Tout organisme facilitateur ou personne facilitatrice est imputable et la gestion de risques n’est pas à prendre à la légère. Aventure écotourisme Québec (AEQ) est une balise de crédibilité, tout comme les différentes fédérations de plein air. »